Une main posee a plat sur la fenetre froide de sa petite maisonette en bois, elle regardait au-dehors, comme semblant attendre quelque chose, dans un morbide son de gemissements. Les arbres ne remuaient pas leurs bras squeletique, et le soleil percait deja entre eux, mais le froid, lui, venait malgre tout jusqu'a elle. Elle ferma un instant ses yeux noisettes, avec quelques teintes d'un vert eclatant, et attendit, encore, que les gemissements cessent. Et comme si ses muettes prieres furent entendues, presque d'un coup, tout s'arreta. Elle reouvrit alors les yeux, et fit doucement claquer ses chaussures sur parquet en bois. S'approchant d'une grande porte recouverte partiellement de draps, elle en posa la main sur la poignee, comme pour l'ouvrir, la tete baissee. Mais, semblant etrangement se resigner au dernier moment, elle courrut presque vers la porte qui donnait sur le dehors, et sortit rapidement. Enfilant sa capuche noire sur sa chevelure a peine plus claire, elle s'emmitoufla dans sa cape, et entreprit, habilement, evitant chaque racine, chaque cailloux au sol, comme si elle en connaissait le chemin par coeur, de sortir de la grande foret dans laquelle elle paraissait avoir fait demeure. Tout paraissait si paisible, aussi. Meme les oiseaux chantaient encore joyeusement ; c'est comme si la Peste etait passee au-dessus de la foret sans meme la voir. Ou juste n'a-t-elle pas encore eu le temps de l'atteindre. Fort heureusement, aussi, la jeune femme n'avait besoin que de sortir en ville que tres rarement, pendant la distribution du quelque peu de nourriture ; mais a chaque fois, elle n'en prenait que tres peu, deja qu'il n'y avait pas grand chose. Elle donnait le reste a un passant, et s'ennfuyait tout aussi rapidement qu'elle fut arrivee. Ce jour-la, elle fit la meme chose. Sa capuche ne laissant qu'entrevoir le bas de son visage, elle avancait parmit la foule, se fondant dans la masse, chose qu'elle arrivait a faire sans probleme. Elle ne se retournait pas, ne relevait pas la tete, sauf a peine pour prendre la nourriture. Et lorsque son tour arriva, et qu'elle remerciait l'homme qui lui dit de tendre ses mains faute de n'avoir rien d'autre, elle releva a peine la tete, et, en un coup de vent totalent innatendu, sa capuche s'envola. Decouvrant ainsi ses longs cheveux legerement ondules, et son visage fin, elle n'eut meme pas le temps de remettre sa cape en place qu'on se mit a crier :

"C'est elle ! C'est la sorciere !
-Qu'est-ce qu.. Ho ! Mais c'est vrai !
-Qu'est-ce que tu fais la, maudite !
-Retournes chez toi !
-Mais non, attrappez-la !
-C'est de ta faute, tout ca ! Que Dieu te renvoi en Enfer !
-En plus de nous rendre tous malade, tu fais disparaitre des notres !"

Le peuple criait a tue-tete. Certains s'etait meme mis a ses pas, mais en vain. Elle courrait, courrait. Et pas une seule elle ne s'arreta. Ni ne se retourna.

Dans sa course effreine, elle ne compta meme plus les fois ou elle faillit tomber. Ni meme celles ou elle tomba reellement. Et puis ce cavalier.. Ou plutot son cheval. Elle se toucha les cotes, puis juste en dessous, et y sentit une legere douleur. Sans doute l'animal, en se cabrant, lui mit un coup de sabot. Heureusement, ca ne semblait pas saigner. Et le froid a du depuis un moment abreger ses souffrance sans meme qu'elle ne s'en rende compte. Mais maintenant, c'etait ses poumons qui lui brulaient et ses jambes qu'elle ne sentait plus ; l'air froid qu'elle aspirait a grande bouffee lui faisait du bien que sur le coup. Elle commenca a se frotter les bras de ses mains aux longs doigts fins -peut-etre un peu trop, ce qui peut assez largement s'expliquer avec la famine-, pour essayer de se rechauffer, alors qu'elle regardait en meme temps aux alentours. Elle ne voyait la foret nulle part d'ici. Et on ne pouvait pas dire qu'elle connaissait la ville plus que ca.. Ca faisait tellement longtemps qu'elle n'y etait pas venue ; ailleurs que sur la Grande Place, en tout cas. Elle fut alors soudain saisie de panique. C'etait vraiment le moment, de se perdre, seule, dans la neige.. Elle sentit meme les larmes lui monter aux yeux, mais les essuya d'un coup de main bien decide. Et malgre que la nuit commencait deja a tomber, elle marcha, seule, dans le froid. Avant de tomber, inconsciente, dans la neige epuree.

Il faisait noir. Un noir total. De ceux-la meme qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Mais son esprit etait bien clair. Elle se souvenait tres bien etre partie de chez elle, elle se souvient de ce meme chemin habituel qu'elle a parcouru. Ce moment ou sa capuche est tombee, le cavalier qu'elle a croise. Jusqu'au moment elle s'est laisse tomber dans la neige. Elle si froide, au debut.. Mais apres, elle n'a plus rien sentit. Comme maintenant. Ce qui voulait dire qu'elle etait morte ? Non. Elle ne pouvait pas mourir maintenant. Alors, de toute ses force, elle lutta. Pour ne pas mourir. Et Dieu l'exaucant, la lumiere lui apparut, difficilement, lentement. Mais elle finit par etre la. Sa main, qui au debut ne comprenait pas a quoi elle s'aggripait, se rendit vite compte que c'etait des draps.. Et elle-meme compris qu'elle ne luttait pas pour survivre, mais simplement pour ouvrir les yeux. Et lorsque ce fut fait et qu'en plus de se rendre compte qu'elle n'etait pas chez elle mais chez "quelqu'un" et qu'elle vit ce quelqu'un en personne, elle retint un petit cris en s'imaginant deja le pire. Alors, se redressant sur le lit, et se baissant comme il etait prit pour les femmes a l'epoque en signe de respect, elle dit moins fort et moins comprehensiblement qu'elle ne l'aurait voulu :

"Je ne.. n'est pas.. que vous croyez.", ce qui ne resuma pas non plus ses idees aussi bien qu'elle l'aurait voulu.

Lorsqu'elle sentit son regard sur elle, un peu trop derangeant, elle osa doucement relever le siens. Les yeux encore embrouilles par la fatigue, elle ne put detailler precisement ses traits, de telle sorte de les imprimer. Elle remarqua simplement qu'il etait un peu plus vieux qu'elle. Et puis il parla, posement, brevement. Au moins, elle comprit tout. Tout.. Meme qu'il dut la deshabiller auparavent ! Ses joues alors s'empourprerent, et elle espera seulement qu'il ne le vit pas. Aussi, a peine fut-il retourne, qu'elle se depecha de s'habiller, esperant se sentir un peu moins mal a l'aise. Pendant tout ce temps, elle ne pouvait s'empecher de se demander qui pouvait bien etre cet homme.. Au vu des feuilles sur la table, elle en deduit qu'il savait ecrire, et etait donc instruit. Il n'etait pas d'apperence malade. Mais pourquoi etre aussi gentil.. ? Peut-etre bien qu'apres tout.. Mais la raison pris vite place a ses interrogations. Se relevant, apres s'etre habillee, peut-etre un peu trop, car elle faillit basculer, elle s'excusa -cette fois audiblement et clairement-, le remercia a deux fois, et fit une legere reverence, avant de se diriger rapidement vers la porte. Elle ne pouvait incontestablement rester ici.

A peine eut-elle ouverte la porte, qu'elle comprit que c'etait une mauvaise idee. Pas tant de partir dans le froid et la nuit que seulement descendre dans l'auberge. Parce qu'elle venait tout juste de se rendre compte de l'endroit ou elle etait. Mais il etait deja trop tard ; ses pas l'amenaient en bas. Elle avait, deja a sa sortie de la chambre, abaissee sa capuche. Une fois en bas, elle voulut rester discrete, mais de nouveau prise de panique avec tout ce monde, elle en bouscula quelques-uns, et fit meme claquer la porte. Elle tremblait de tous ses membres, et les voix des gens de toute a l'heure lui revenaient tous en tete. Elle semblait revivre de nouveau cette scene. Et ne put se retenir de vraiment crier cette fois, lorsqu'elle sentit une main sur son epaule. Elle se retourna, et vit l'homme qui l'avait aide. Elle n'eut meme pas le temps d'achever d'analyser ses paroles, son coeur de nouveau battant a tout rompre dans sa poitrine, que la porte de l'auberge s'ouvrit pour la troisieme fois ; mais cette fois, ce fut presque toute la salle qui sortit dans le froid. Et encore, ils criaient. Ils criaient toutes ces atrocites.. Laissant ses mains retomber le long de son corps, elle se recula simplement de quelques pas. Elle regarda le grand homme qui etait descendu la chercher jusqu'ici ; sans doute croyait-elle que c'etait lui qui etait a l'origine de tout ca. Elle n'eut meme pas la force de lui en vouloir. Ni d'ailleurs celle de courir ou d'esperer quoi que ce soit.

Tout se passa.. Si rapidement. À peine avait-elle eu le temps de fermer les yeux, s'attendant déjà au pire, qu'elle sentit qu'on lui attrapait le bras. Puis qu'on la tirait. Faiblement, elle de laissa entraîner, manquant de tomber, mais quand elle vit le médecin et comprit que c'était pas pour la même raison qu'il l'amenait, ni une ni deux, elle se mît à courir avec lui. Elle ne s'était peut-être pas trompé sur son compte, en fait.. Maintenant aussi, tout se fit rapidement. Ils se retrouvèrent devant l'église, il parla, puis elle, avant même que l'idée de faire demi-tour -si elle lui serait venue- lui vienne : "Vous n'auriez pas dû.. Faire ça." Elle parla gravement, tête légèrement baissé. Parce que maintenant, et il devait le savoir tout autant qu'elle, il ne serait plus le bienvenu au village. Comme ces quelques rares autres qui ont déjà essayés de l'aider. Elle se sentait encore plus mal, a présent. Comme chaque fois. Rien que de revenir ici.. Elle marmonna quelques excuses en se retournant, et remit son capuchon. Le vêtement n'avait pas encore eu le temps de prendre l'odeur de la jeune fille, et avait celle du médecin. Elle le resserra sur sa poitrine, et s'y accrocha. Comme à la vie même.

Sa voix -ou alors etait-ce la neige- la fit frissoner. Mais ses paroles semblaient faire le contraire. Elle se retourna, doucement, mais ne releva pas les yeux tout de suite. Ca lui faisait encore tout drole, de parler a une personne "bien en chair". Finalement, ayant pris son courage, elle releva ses prunelles et les posa sur lui.

"Merci, encore.. Dit-elle doucement. Merci, et desolee.. Elle parut vouloir esquisser un leger sourire, mais se resigna, et tourna de nouveau les talons, de peur que meme dans le noir, il n'appercoive ses yeux humides. De nouveau, cette timide hesitation se fit entendre dans sa voix : Vous.. Devriez venir avec moi." Elle esperait juste qu'il comprenne que plus personne ne le reprendra au village, ni qu'il survivra la nuit dans ce froid, et que cette conversation s'arrete ici pour qu'ils puissent enfin rentrer. Parcr que c'etait la seule chose qu'elle voulait. Rentrer, et ne plus avoir a jamais revenir ici.

Il avait accepte si.. Enfin, de toute maniere, il n'avait pas trente milles autres solutions. Elle se contenta d'hocher la tete, et de commencer a avancer. Tout le monde devait deja etre rentre, et vu comment il faisait sombre, il n'avaient qu'a se faire discret pour rentrer. Elle essayait de rester calme, et surtout de ne pas les perdre ; s'aventurer en pleine nuit n'etait pas dans ses habitudes. Elle garda le silence tout le long, faisant attention a ne pas tomber, ou se tromper de chemin. Prudence etait le maitre mot, surtout quand ils furent vite rentres dans la foret. Les arbres arboraient d'etranges et presque effrayantes allures, et il fallait avouer qu'ils ne laissaient pas Aldea indifferente. Ce genre de choses lui a toujours deplut. Par moment, la neige ou une feuille morte ou une branche qui craquait sous leurs pas la faisait frissoner et resserer de nouveau un peu plus la cape sur elle. Ils virent finalement une grande forme, qui se distinguait de par sa taille des autres. Elle etait plutot rectangulaire, et en la voyant, Aldea accelera le pas. Arrives devant la porte, elle la poussa, aidee par un leger coup de pied ; celle-ci grinca. A peine eut-elle allumee une bougie qu'elle verifia que la grande porte dans l'angle etait fermee, et retourna rapidement et discretement en allumer d'autres, mine de rien. Elle enleva sa cape mouillee et l'etendit sur une chaise, avant de commencer a preparer le feu.  Il devait sans doute faire tout aussi froid que dehors, mais a mesure que les braises s'intensifiaient et que les flammes prenaient le bois sec, la petite maisonnete commencait a se rechauffer. Il ne paraissait y avoir que deux pieces, sans compter la grande porte dans l'ombre. La cuisine n'etait pas tres grande, et c'etait encore a se demander comment la vieille table tenait sur ses quatre pieds, mais tout etait bien range, les rideaux etaient propres, de la vaisselle etait entreposee sur un torchon, sur une petite table pres de la cheminee, et par l'ouverture sans porte, on pouvait appercevoir un lit et une sorte de commode. C'etait petit, mais assez spacieux. Elle proposa a son invite de fortune de prendre une chaise et de venir se secher au feu pendant qu'elle rechauffait la soupe, ce qu'elle fit sans s'attarder. Elle faisait le tout d'une habilite routiniere. Elle s'avanca egalement une chaise, et la petite table basse et ronde, et, posant deux assiettes devant eux, s'assit enfin.

Elle avait deja leve son assiette et prit une cuillere, egalement affamee, qu'il faillit la lui faire reposer. Elle allait repondre aux premieres questions, mais les autres qui suivirent la surprirent un peu, et elle eut du mal a le cacher. Mais finalement, elle lui adressa un leger sourire, et dit :

"Je m'appelle Aldea Mayville. Mangez d'abord, votre estomac ne serait pas contre.. Le reste peu attendre." Et elle baissa la tete en commencant.

Aldea finit peu apres, et mettant son assiette dans celle de Peter, les amena sur le plan de travail dans la cuisine. Elle ne semblait a peine avoir remarque le loup. Mais le bruit des assiettes qui tomberent presque -heureusement, a seulement quelques centimetres sur la table-, la firent sursauter. Et voila que cette question etait de retour. Elle s'essuya les mains, et se dit pendant un instant qu'elle pourrait lui proposer d'aller se reposer et d'en reparler demain, mais elle savait que c'etait cause perdu. Il n'avait pas l'air d'etre le genre a tourner autour du pot, et encore moins a attendre trop longtemps. Alors, se rasseyant, droite, sur sa chaise, elle tourna d'abord les yeux vers le feu, puis lui fit face et dit :

"De sorcellerie."

Pour Aldea aussi, ce fut un choc. N'est-ce pas generalement comme ca, d'ailleurs, quand une situation ne se passe pas comme prevu ou qu'une phrase ne se termine pas comme vous l'aviez attendu ? L'imprevu ne laisse que rarement indifferent. Il a.. rit ? Pendant un instant, elle eut envie de rire aussi. Comme tout ce qui se passait n'etait que dans un reve. Mais elle ne le fit pas, et resta a le fixer, la bouche legerement entreouverte. Et ces quelques instants plus plus tard encore, lorsqu'il s'arrete, elle eut envie de pleurer, sans trop savoir pourquoi. Elle entendit ses paroles, mais comme si elles venaient d'ailleurs. De sa tete. Elle le fixait encore, et s'en rendant enfin compte, se reprit en s'excusant. Elle ne savait meme pas que repondre, et se contenta de baisser de nouveau les yeux, les mains sur ses genoux.

Lui raconter ? Mais lui raconter quoi ? Où plutôt comment.. ? Elle repartit de nouveau dans les méandres de ses profondes pensées, mais elle ne pouvait pqs lui dire. Même si avec un peu de chance et parce qu'il est médecin il n'allait pas la prendre pour une folle, l'option a ce qu'il mette fin à tout ça aussi devait être invisageable.. Elle se rappelle de ses propres parents qui ont dû agir de sorte, pour un autre cas. Et Aldéa comprenait tout à fait.. Mais là, c'était différent.

"Il est tard, nous devrions peut-être nous en arrêter là pour aujourd'hui. Dit-elle simplement en se levant et en jetant au passage un dernier regard au nédecin. La chambre au bout est a vôtre disposition."